Fondée en Mars 2005, cette association a pour but de fournir une aide humanitaire aux populations d’Afghanistan, en particulier dans le domaine éducatif et d’organiser des rencontres culturelles et d’information sur l’Afghanistan.

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 Conférence de Régis Koetschet

Samedi 21 Janvier 2017 de 15h à 17h

A la cité des associations de Marseille

La conférence a été suivie d’un thé afghan de 17 à 18 h

 

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  Le thème : Impressions de mon dernier voyage en Afghanistan.
 

        Ancien ambassadeur de France en Afghanistan, Régis Koetschet s’est rendu de nombreuses fois dans ce pays (dernièrement en novembre 2016). Il nous a rendu compte de ses impressions et nous a fait comprendre les évolutions en cours.

  Qui est Régis Koetschet ?

Président de MADERA (Mission d’Aide au Développement des Economies Rurales en Afghanistan), ambassadeur de France à Kaboul de 2005 à 2008. Ancien diplomate, il a été en poste à Bagdad, Islamabad, Mascate et Jérusalem avant de diriger la Délégation pour les relations avec la société civile et les partenariats de la Direction générale de la Mondialisation au quai d’Orsay.

Membre du conseil d’administration d’AFRANE et du CEREDAF, il siège au comité des solidarités internationales de la fondation de France, et comme assesseur, à la Cour Nationale du Droit d’Asile.

Il s’intéresse particulièrement aux relations culturelles entre la France et l’Afghanistan.

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  Ce que nous a dit Régis Koetschet : Le texte complet de la conférence en cliquant ici.
 

         Merci de m’accueillir. Comme il a été dit dans la présentation, je suis effectivement, au titre  de président de MADERA, successeur de Pierre LAFRANCE.  Ce compagnonnage m’oblige. C’est pourquoi je me rends deux fois par an en Afghanistan.

Nous avons souhaité, en préparant cette conférence, travailler à partir des impressions ressenties lors de mon dernier voyage, au mois de novembre, et lors du voyage précédent, qui avait eu lieu au printemps dernier.

Lors du voyage de printemps j’avais répondu à un désir de l’ambassadeur, qui voulait que le cahier des Nouvelles d’ Afghanistan reprenant les articles essentiels de la revue depuis 1980 soit offert à tous les amis afghans francophones. Je m’étais aussi, lors de ce voyage, rendu à Beshud 1 et à Bamyan pour préparer un colloque qui a eu lieu à Versailles. Au titre de Madera, je m’étais rendu également dans le Panshir.

En novembre dernier je me suis rendu à Kaboul, et à Hérat, la grande ville de l’Ouest, proche de l’Iran. Ce dernier voyage avait trois objets : au titre de Madera, j’étais concerné par la sécurité des équipes. Trois cents personnels afghans travaillent pour Madera, et quatre ou cinq expatriés. Je voulais aussi travailler sur le  projet forestier dans la province du Nangarhar, pour lequel nous sommes à la recherche de financements et de cofinancements. Mon voyage à Hérat m’intéressait à titre privé, parce qu’il se trouve qu’ André Malraux a situé à Hérat le décor d’une de ses nouvelles. Je mène une recherche personnelle sur les rapports d’André Malraux avec l’Afghanistan. Hérat est une ville majeure, d’une grande beauté.

Le propos de cette conférence, c’est de constater les évolutions, les changements qui ont pu avoir lieu entre ces deux voyages.

Mais il faut bien garder à l’esprit que l’Afghanistan ne se prête pas à une analyse linéaire. Ce n’est pas parce qu’on constate quelque chose quelque part qu’on peut projeter ce résultat dans l’espace et le temps. Le pays est rebelle a toute simplification.

La complexité de l’Afghanistan a été minimisée par la communauté internationale. L’incapacité de penser cette complexité est une faille majeure dans la compréhension de la communauté internationale.

1ère impression : l’activité.

Dès Istanbul, on constate une activité un peu fébrile. L’avion quotidien de Turkish Airlines pour Kaboul est plein à craquer. Il est rempli de toutes les catégories possibles d’ afghans. Des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes et des enfants. Peu d’étrangers

        Dès qu’on arrive à Kaboul on est frappé par la rapidité du développement. Je suis arrivé à Kaboul en 2005, comme ambassadeur : cette ville était déjà méconnaissable quand je suis parti en 2008. Des quartiers entiers ont surgi de terre.  Les grands immeubles qui sont construits dans le Nord de la ville sortent de terre à toute vitesse, de gigantesques salons de mariage, dégoulinants de lumière .D’un voyage sur l’autre, j’en vois de nouveaux.

Ces grands immeubles sont-ils bien solides ? L’année dernière, j’avais pu constater, puisque j’y étais lors du tremblement de terre, que certains de ces immeubles s’étaient gravement fissurés. Y a-t-il des dispositifs antisismiques ? Comment l’eau monte-t-elle jusqu’aux derniers étages ? Comment fonctionnent les systèmes d’évacuation ?

Le spectacle de la rue témoigne d’une animation certaine, mais on sent partout le souci de sécurité. Il y a de plus en plus d’énormes blocs de béton qui bordent les avenues, protégeant les immeubles contre l’explosion des voitures piégées. Des avenues entières de Kaboul sont bordées par ces murs.

Il y a énormément de panneaux publicitaires, vantant des voyages, tous les biens de consommation possible, des produits de santé , de beauté. Cela a un aspect un peu factice : qui peut se payer ces merveilles ?

Le contexte sécuritaire affleure partout. L’économie de guerre a suscité toute une circulation de  4x4 rutilants, de voitures blindées et de gardes du corps. La ville est traversée de convois sécurisés : beaucoup d’hommes en armes dans les voitures suiveuses. L’Afghanistan est un pays pauvre. Qui peut se payer tout cela ?

Il y a beaucoup de circulation partout. J’ai été particulièrement frappé quand j’ai été dans le Panshir l’année dernière. La route  du Nord vers le Panshir a été doublée. Le trafic en direction de Mazar e Sharif est considérable. La ville de Kaboul s’étend maintenant jusqu’à Charikar. Un boulevard circulaire contourne la ville par le Nord.

2ème impression : un trompe l’œil ?

On  a rapidement l’impression qu’une partie de l’activité repose sur des bases incertaines, indéfinissables. Les constructions de certains quartiers relèvent d’opérations de blanchiment. Il y a des quartiers de Kaboul qu’on pourrait qualifier de narco-quartiers. La guerre a apporté à certains plus de quinze ans d’argent facile.

Certes, il y a des lignes intérieures aériennes nombreuses, plusieurs compagnies aériennes, concurrentes de la compagnie Ariana. il y a des avions qui partent et qui arrivent à l’heure. J’ai pris l’avion pour aller à Hérat, puisque la route n’est pas sûre. J’ai pensé à l’équipe de jeunes femmes qui faisait le contrôle des passagères à Kandahar, qui procédait, comme dans tous les aéroports, aux palpations de sécurité. Cette équipe qui a été victime d’un attentat, un mois après mon voyage. Ces jeunes femmes sont mortes pour décourager les autres de voyager. Elles sont mortes parce qu’elles représentaient la liberté et le mouvement dans la sécurité.

Il y a les innovations et il y a la violence, jamais bien loin.

Il y a aussi des réalisations extraordinaires, comme la belle restauration de la citadelle de Hérat, financée par l’ Aga Khan. Le très beau musée installé dans la citadelle, installé par les allemands. Il y a beaucoup de visiteurs.

3ème observation : La situation politique et les institutions.

Les afghans aiment toujours à parler politique et ils le font très librement.

Le système politique en place semble s’épuiser.  L’attelage des deux responsables principaux se désunit.

Vous savez que les dernières élections présidentielles n’ont pas donné de résultat concluant. Les résultats chiffrés n’ont jamais été clairement annoncés.

John Kerry, le secrétaire d’Etat américain, avait trouvé un compromis. Achraf Ghani prenait la présidence, Abdullah Abdullah se voyait confier une espèce de primature, une direction de l’exécutif distincte de la présidence. Les deux personnes ont des compétences et des capacités indéniables. Achraf Ghani s’est formé à l’université de Beyrouth et dans les universités américaines, il a travaillé à la banque mondiale. Il a été ministre des finances. Abdullah Abdullah a été un brillant médecin et un conseiller politique du commandant Massoud.

Jusqu’ici, les deux hommes ne se sont pas affrontés directement. Les afghans ont fait preuve de patience. Mais l’impatience grandit dans le pays. Les réalisations ne sont pas du tout à la hauteur des attentes. L’impatience grandit, concernant tout ce qui s’est dégradé depuis les années d’espoir. L’opposition entre les deux hommes se manifeste de plus en plus ouvertement par des remarques comme celle d’Abdullah Abdullah  concernant Achraf Ghani :  « Le président n’est pas fait pour le métier ». On reproche au président d’être trop technocrate, de ne pas aller assez au contact des populations. Les afghans abordent ces thèmes directement, sans craintes. Une certaine défiance a remplacé la patience.

La fragilité de l’exécutif se constate aussi à la situation des ministres, du fait d’une disposition mal pensée de la constitution afghane. Les ministres sont responsables individuellement devant le parlement.

A chaque instant, ils peuvent être l’objet d’un vote de défiance individuel.  Aujourd’hui, sept ministres ont été invalidés par le parlement, mais ils n’ont pas été remplacés. Il est apparemment impossible d’en trouver d’autres.

Pour le budget, on est dans la même situation problématique. Le budget sera voté par un parlement qui a dépassé largement la fin de son mandat.  On sait qu’il faut quatorze mois pour préparer de nouvelles élections.

La loya Jirga qui pourrait redéfinir l’articulation de l’exécutif et du législatif ne pourrait avoir lieu qu’après les élections de l’assemblée.  Le risque est grand d’avoir un exécutif sans légitimité, un parlement qui souffrirait du même mal. Le risque est une dissolution des institutions et de toute la machine constitutionnelle. Tout ce qui a été construit, sur le plan institutionnel, risque de se déconstruire.

On constate une phase de contraction de l’exécutif et des institutions.  Si tout allait bien, l’exécutif renforcerait son autorité et l’étendrait géographiquement. C’est l’inverse qui se produit.

Ce processus laisse beaucoup d’espace à des forces centrifuges et à des antagonismes communautaires.

Un troisième homme, l’ancien président Karzaï, est très présent sur la scène politique et médiatique.

Un homme fort, le premier vice président Rachid Dostom marque son territoire avec ses troupes ouzbèques. Récemment, il a fait une démonstration de force dans Kaboul avec ses chars.

A Mazar e Sharif, l’ancien gouverneur Ata dirige personnellement la province en dialoguant avec le président , sans respecter les règles institutionnelles.

On constate une grande fragilité de tous les pouvoirs régaliens.  C’est vrai dans le domaine de la justice. L’exigence d’une justice efficace et rapide a été pour beaucoup dans l’arrivée au pouvoir des talibans. Malheureusement le dispositif qui a été mis en place fonctionne avec beaucoup de lenteur. La formation des magistrats est très lente. La corruption est encore présente.

Cependant, on doit noter certains progrès administratifs, en particulier au ministère des finances, qui commence à mettre en place une administration fiscale et à faire rentrer l’impôt. Mais s’il y  a des progrès dans certains domaines, c’est avec une lenteur qui provoque beaucoup d’agacement, voire d’exaspération.

La représentation internationale, le système des ambassades, la présence dans les conférences fonctionne bien. Une véritable élite fonctionne à des postes importants, ce qui donne au moins une apparence, mais on sent la fragilité de toute la construction institutionnelle et administrative.

La plus grande difficulté vient de la nécessité pour l’exécutif d’être sur tous les fronts. On ne peut pas isoler la sécurité, les problèmes liés à la drogue, les questions relatives à l’ingérence des voisins. On ne peut pas dire : cette année , on s’occupera des écoles, l’année prochaine des hôpitaux, l’ année d’après, des transports… Tout relève de l’urgence. On ne peut pas séquencer les dossiers. Quand j’étais ambassadeur, on disait : laissons de côté pour l’instant le problème de la drogue. On avait la tentation de dire : traitons les problèmes d’éducation, de développement agricole … mais on voyait tout de suite qu’on revenait inévitablement à la drogue, parce que tout est lié.

On ne peut pas développer une problématique diplomatique sans résoudre une série de problèmes internes. On ne peut pas parler de l’insécurité sans parler des trafics, des mafia.

Nous sommes dans une période où le système institutionnel fonctionne encore, mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quel point ?

C’est un système qui est en perte de légitimité, et dont le pouvoir se rétrécit géographiquement.

4ème observation : Le rapport à l’histoire.

La relation des Afghans à leur propre histoire est spécifique et curieuse. J’en parle au moment où s’installe le dispositif de dialogue avec le Hezbi Islami de Gulbudin Hekmatyar. Une structure de négociation est mise en place entre le gouvernement et ce parti. Cela renvoie à l’appréciation du passé, au jugement sur l’activité des moudjahidin. En particulier sur l’appréciation des actes de guerre civile commis pendant la «  guerre des commandants » Mais toute appréciation rétroactive, tout jugement négatif est hors de propos. De ce fait, aucun jugement sur la période de la guerre civile n’est possible.

J’ai été voir une association afghane qui travaille pour les handicapés, jumelée avec Madera. Cette association dépend du ministère des affaires sociales et du ministère des martyrs  (tombés pendant la guerre contre les russes).  Les personnels de cette association m’ont expliqué leur souci : ils estimaient que l’association travaillait surtout pour les martyrs, pas assez pour les autres handicapés. Le poids de la période moudjahidin est prépondérant. Les jeunes ont de la peine à comprendre cela et n’ont pas les mêmes priorités.

Au bas des jardins de Babour, réaménagés par l’Aga Khan, j’ai vu des enfants qui vendaient des porte-clefs illustrés par des portraits de Massoud, et de Nadjibullah.  Un responsable communiste chef de l’appareil policier sous l’occupation russe.

A Hérat, j’ai acheté un atlas historique, fabriqué en Iran, où figuraient les rois et présidents de l’Afghanistan : le mollah Omar y figurait en bonne place comme chef de l’Etat pendant la période des talibans.

Dans la plupart des écoles afghanes figurent des frises historiques avec le président Nagib et le mollah Omar. On a même été déterrer le corps d’un aventurier qui s’était glissé à la tête de l’ Etat en 1929,  « le fils du porteur d’eau » pour lui donner une sépulture décente. Peu importe qu’il ait été un usurpateur notoire.

L’histoire, en Afghanistan, est à prendre en bloc. Ceci crée l’impossibilité d’une justice de transition  (justice transitionnelle). De ce fait, pas de réconciliation possible. Pas de processus de vérité réconciliation, comme en Afrique du Sud. On est certainement amenés à discuter avec des personnes qui devraient être mises en jugement, mais c’est ainsi. Certains pensent que c’est le prix à payer pour une recomposition politique. D’autres voudraient que les criminels soient punis.

Les jeunes urbains voudraient que les choses se passent autrement, que le passé soit regardé d’un œil plus exigeant, mais c’est tout à fait impossible.

Quand j’étais ambassadeur, j’avais des collègues, surtout ceux des pays nordiques, qui voulaient avancer sur ce point.  J’étais pour ma part très dubitatif. Ce souci de justice ne s’inscrit pas dans la réalité afghane, qui prend l’histoire en bloc.

On reproche à Achraf Ghani d’être un technicien. Mais en nommant le maréchal Dostom comme premier vice-président, il a fait un acte politique qui illustre la réalité afghane.

5ème observation : l’insécurité :

J’ai passé 15 jours en Afghanistan en Novembre : lors de ces 15 jours se sont produits des événements significatifs : la veille de mon arrivée, un des agents humanitaires de l’association Acbar a été enlevé. Le surlendemain, le consulat allemand de Mazar a été attaqué. Il y a eu plusieurs morts, afghans. Un attentat suicide a eu lieu à la base américaine de Bagram, tuant quatre militaires américains et plusieurs autres personnes.  Tout cela , pendant que j’étais là bas. Plus récemment, il y a eu d’autres enlèvements (en particulier celui d’un responsable du CICR) et d’autres attentats, visant le parlement et la résidence du gouverneur à Kandahar.

L’insécurité est très liée à la grande criminalité. La part purement mafieuse de ces faits est très importante.  Cette insécurité pèse très lourd sur la vie des gens.

La part politique de l’insécurité est rapportée aux talibans, sans qu’on en sache beaucoup plus sur eux.  Sont-ils plus forts ou moins forts ? Unis ou divisés ? Sont-ils engagés dans le débat politique avec le pouvoir, ou cherchent-ils seulement à étendre leur force, pour contrôler des territoires ou des systèmes mafieux ?

Beaucoup de questions se posent, qui restent sans réponse. Gilles Doronsoro, un spécialiste reconnu, estime que les talibans n’ont jamais été aussi forts.

D’autres spécialistes pensent que le mouvement taliban est divisé et financièrement affaibli. Ce qui est à peu près établi, c’est le nouveau contexte international dans lequel se situent les talibans.  La Russie et l’Iran discutent avec eux. Les russes disent engager des discussions avec les talibans parce qu’ils ont un ennemi commun : Daesh, l’ Etat islamique.  Le mollah Mansour, ex chef des talibans, a été tué par un drone américain dans un taxi, à son retour d’un voyage en Iran.

Il semble par ailleurs que les talibans aient compris que la population appréciait les services rendus par les ONG, et qu’il n’y avait rien à gagner en empêchant ces associations de fonctionner. Ce point reste évidemment à vérifier.

L’implantation de l’ état islamique prête aussi à discussion. Gilles Doronsoro estime que ce groupe est très implanté à la frontière du Pakistan, et très actif en Afghanistan.

Ce qui est certain, c’est que Daesh fait preuve d’une très grande violence, d’une violence supérieure encore à celle des talibans, et qu’il s’en prend aux hazaras chiites, considérés comme mécréants. L’état islamique a mis le feu à des villages.

Ainsi une manifestation pacifique des hazaras, qui réclamaient que la ligne électrique alimentant Kaboul puisse aussi fournir de l’électricité au  Hazaradjat, a été l’objet d’un attentat suicide faisant de nombreux morts. Une mosquée chiite  a été attaquée le jour de la célébration de l’Achoura,  l’attentat a fait un très grand nombre de victimes. L’état islamique est vraisemblablement à l’origine de ces attentats qui ont fait de très nombreuses victimes.

Le danger de l’après Mossoul est certain. Une série de combattants du groupe état islamique auront à se  « recaser » quand ils seront chassés de Mossoul. Il est vraisemblable qu’un certain nombre se déplacera vers l’Afghanistan.

Vous avez remarqué que Daesh recrute en Asie centrale.  Le kamikaze d’Istanbul était ouzbek. Dans le cas d’un repositionnement de Daesh dans la région, ces éléments originaires d’Asie centrale pourraient former des noyaux durs en Afghanistan.

Il y a en Afghanistan beaucoup de jeunes  radicalisés, fragiles, achetables, en quête d’allégeance, susceptibles d’être recrutés.

L’insécurité, je l’ai sentie lors de mon dernier voyage à Hérat. Dans l’hôtel où je suis allé, il fallait se faire connaître d’un gardien qui dormait devant une porte blindée, pour accéder aux étages. Même à Hérat, qui donne l’impression d’une ville active commerçante et dynamique.

La drogue, la corruption et les enlèvements sont les trois facteurs de criminalité qui marquent le vécu des afghans. Les forces de sécurité tiennent, mais jusqu’à quand ? Il y a beaucoup de désertions.  Il y a beaucoup de soldats qui n’existent que sur le papier. C’est un cas classique de détournement de fonds. Les sommes allouées à l’entretien de ces « faux soldats » sont détournées par la corruption. Les militaires et les policiers qui restent fidèles au régime payent un prix très élevé, ils sont souvent victimes d’attentats.

Le risque d’effondrement de l’appareil sécuritaire est évident.  

Face aux talibans et à Daesh, l’armée et la police tiennent encore, mais jusqu’à quand ? 

6ème observation : des voisins malcommodes.

On est au cœur d’une zone instable.

Les relations de l’Afghanistan se développent avec les voisins. J’ai parlé des lignes aériennes. Il y a aussi la ligne de chemin de fer qui va jusqu’à Hérat. Bientôt , quand sera réalisé le projet chinois, on pourra aller jusqu’en Afghanistan en train.

L’Afghanistan retrouve sa vocation géographique de carrefour.  Il y a un besoin clair de transport de marchandises vers les ports de l’Iran et du Pakistan. L’Afghanistan devrait normalement se faire une place dans le contexte régional

Mais les bonnes relations avec les voisins se payent cher.

Les relations avec le Pakistan sont compliquées du fait qu’il y a plus de pachtounes vivant au Pakistan qu’en Afghanistan. Il y a des communautés afghanes qui sont liées aux pays voisins, par l’origine ethnique, ou par la religion… la carte ethnique crée toutes sortes de raisons pour les voisins de s’occuper de l’Afghanistan.

Les plus grosses difficultés concernent les relations avec le Pakistan.

Achraf Ghani avait le sentiment, au début de son mandat, que la Chine pourrait faire pression sur le Pakistan pour aider à régler la question des talibans. Les chinois sont intéressés par les minerais afghans. Les chinois aimeraient établir un véritable corridor vers les ports pakistanais. On pouvait penser qu’ils mettraient beaucoup d’énergie à chercher les voies de la paix et de la sécurité dans la région, en cherchant à développer leurs intérêts. Cette perspective semble aujourd’hui passée de mode, mais l’intérêt de la Chine pour ce qui se passe dans la région est certain, et nouveau.

Les relations avec l’Iran sont importantes. On sent nettement la présence des investissements iraniens à Hérat. Deux points de friction reviennent de façon répétée ; le problème de la drogue et le problème de l’eau. Une très grande quantité de drogue sort d’Afghanistan par l’Iran. Le marché iranien de la drogue, alimenté par l’Afghanistan, est considérable, ce qui inquiète les autorités iraniennes.  L’eau des  rivières afghanes est souvent pompée et stockée pour l’agriculture en Afghanistan, ce qui cause des préjudices aux iraniens.

L’Inde est toujours disponible pour des projets en Afghanistan, Karzaï a beaucoup fait en ce domaine. mais l’Inde se détermine aussi en fonction des réactions pakistanaises.

Ce qui est nouveau quand même, d’un point de vue géopolitique, c’est l’intérêt que suscite l’Afghanistan. La Chine voudrait une nouvelle route de la soie.

Il y a peu, s’est même réunie une conférence sur l’Afghanistan… sans l’Afghanistan. Conférence qui rassemblait les russes, les chinois et les pakistanais.

Il faut que l’on apprenne à considérer la situation afghane comme le volet oriental de la crise du moyen –orient. J’en ai déjà parlé à propos de Daesh. Il y a d’autres exemples. Vous savez que les iraniens enrôlent des hazaras d’origine afghane pour aller défendre Bachar el Assad en Syrie. Des sans papiers qui s’enrôlent en échange de quelques gratifications pour leurs familles.

Il est certain que Poutine accorde une très grande attention à ce qui se passe dans la région : les russes sont très présents au Tadjikistan et surveillent  de près tout ce qui peut prendre la forme de groupes armés islamistes.

7ème observation : L’élection de D Trump. Et après ?

Je suis arrivé à Hérat la nuit de l’élection de D Trump. Tous les afghans de l’hôtel étaient devant la télé, dans un véritable état de sidération. Les plus optimistes comptaient sur Trump pour secouer le cocotier pakistanais. Peut-être Trump va-t-il interdire aux pakistanais de recueillir les talibans ?  L’élection de Trump crée beaucoup de craintes, d’interrogations sur la suite du soutien américain. L’Afghanistan n’a pas été évoqué pendant la campagne électorale américaine, ni par Trump, ni par Hillary Clinton. Comme si le problème était réglé par avance ou caché sous le tapis. Pour interpréter les intentions de Trump, il faut se contenter de ses tweets. Il a tweeté  « Quel gâchis » en évoquant l’aide financière à l’Afghanistan. On sait que Trump a eu un contact avec le premier ministre pakistanais, puis avec Ashraf Ghani. Le communiqué d’ Ashraf Ghani fait état de promesses d’aide renouvellées, le communiqué de Trump est beaucoup plus évasif. Le SIGAR vient de publier son rapport. Le SIGAR, c’est l’organisme qui dépend du « special inspector general for Afghanistan reconstruction », qui surveille l’usage fait des dizaines de milliards de dollars attribués à l’Afghanistan par le trésor américain lors de l’année 2016. Ce rapport laisse une impression de gâchis terrible. Même si on peut  y trouver quelques points positifs. Le slogan « America first » devrait amener à des coupes sombres dans ce budget. De toute façon, pour une nouvelle administration, c’est un pénible cadeau de bienvenue.

Le dossier afghan sera peut-être le premier grand dossier de crise que la nouvelle administration aura à gérer. La question qui se posera sera : on soutient encore, ou on soutient plus ? Les analystes américains sont divisés. Certains pensent que cahin caha  les choses pourraient demeurer en l’état.

Mais il ne faut pas oublier que les événements s’accélèrent. Pendant tout le printemps 2016, les talibans étaient  sur le point de s’emparer d’une capitale provinciale.

Le dossier afghan est un des premiers dossiers sur le bureau de Trump. Les marges de manœuvres sont réduites. C’est un dossier sensible qui ne se prête pas aux décisions brutales. Les marges de manœuvre de l’administration américaine sont extrêmement  réduites.

7ème Observation : Les réfugiés 

Toutes les conversations portent sur le sort des réfugiés. Ceux qu’on appelle les réfugiés, ce sont les afghans qui sont renvoyés d’Iran et surtout du Pakistan. On les estime à 700 000 , bientôt 1 million. Il y aurait en tout 1,3 million de réfugiés afghans au Pakistan, dont 700 000 sans papiers.  Quand j’étais en poste à Islamabad, il y en a eu jusqu’à 3 millions. Beaucoup sont nés dans les années 80, et on estime que la moitié de ces réfugiés n’ont jamais connu l’Afghanistan .Leur retour en masse crée de nombreux problèmes, en particulier des conflits pour la possession de la terre. Comme souvent ils n’arrivent pas à rentrer en possession de leurs biens à la campagne, ils se concentrent dans les faubourgs de Kaboul. Ils sont pris en charge par les autorités afghanes et par les associations internationales, mais c’est un problème très lourd, financièrement, et créateur de bien des frictions. La Pakistan semble décidé à renvoyer tous les réfugiés.

On parle très peu là bas des Afghans réfugiés en Europe. C’est comme un sujet tabou. Les autorités afghanes n’en parlent pas, les amis afghans non plus. Beaucoup de jeunes hommes partent des provinces de l’Est, des régions limitrophes du Pakistan. Beaucoup d’hazaras prennent le chemin de l’exil, mais aussi beaucoup de jeunes éduqués, d’origine urbaine, qui se sentent menacés. ( On peut évoquer l’attaque contre l’université américaine, l’attentat contre le responsable de l’association Afghanistan libre. Ces attentats ont montré que ces jeunes qui avaient acquis une formation, une conscience sociale et politique étaient des cibles potentielles)  En marge de la conférence de Bruxelles, un accord s’est fait en Europe pour faciliter le retour en Afghanistan de ceux qui n’auraient pas été admis à l’asile. Ce retour a commencé surtout à partir des pays scandinaves et de l’Allemagne.

8ème observation : A propos de l’économie.

Vous savez que ce pays dispose de peu de ressources. De peu de ressources industrielles, en tout cas. Mais c’est un pays de grande vitalité agricole. Cette vitalité est fortement impactée par le changement climatique et par les phénomènes météorologiques extrêmes.

Le développement des infrastructures soutient cette vitalité agricole. Les infrastructures permettent une meilleure circulation des produits. Il y a maintenant des routes en Afghanistan, même s’il y a des check points tenus pas des talibans, réels ou prétendus.

Un  début de fiscalité se met en place.

Mais le budget est bouclé par l’aide des Etats Unis et des bailleurs de fonds internationaux.. Sans cette aide, il n’y aurait pas de budget.

C’est le début de la fin de l’économie de guerre : l’Afghanistan est confronté à la r&alité de sa propre éconimie.

Les difficultés sont considérables : le chômage atteint 40% de la population.

9ème observation : vitalité de la société civile afghane

Les chaînes de télévision, Internet, les téléphones portables… les Afghans sont au fait de toutes les découvertes technologiques.

La chaîne tolonews a reçu un prix de l’agence France Presse pour la qualité de ses informations.

Mais c’est partout la même chose en Afghanistan : le meilleur et le pire. La très grande diversité des chaînes entraîne une ethnicisation des contenus : les chaînes se répartissent suivant les ethnies.

Il ne faudrait pas croire que cette modernité ne concerne que les jeunes urbains. Je suis allé à Beshud 1, au sud de Bamyan, pour étudier un projet du programme de solidarité nationale. Un générateur produit de l’électricité, qui permet de regarder la télévision, en plein centre du Hazaradjat.

J’ai demandé au paysan ce qu’il regardait : comme tout le monde, il regarde les chaînes satellitaires. Les séries turques sont très suivies.  Les genoux et les poitrines des dames sont floutées, mais les histoires sont occidentales.  L’influence de ces media vient contrarier la culture traditionnelle, et créer de fortes divisions au sein de la population.

Fragmentation et vulnérabilités. Les enlèvements visent des intellectuels, des enseignants.. comme les deux professeurs australiens toujours détenus.

Chacun se souvient du lynchage de Farundha en plein Kaboul, sans que personne ne réagisse.

La ziarat où le lynchage de Farundha s’est produit est recouverte d’œuvres d’artistes qui témoignent pour la jeune femme. Il y a eu l’horreur. Il y a la solidarité.

Toutes les jeunes femmes qui travaillent se plaignent du harcèlement, des remarques déplacées. On leur dit qu’elles devraient rester chez elles. Mais elles ne cèdent rien. Volonté, engagement, désir de vivre. Désir de vivre heureux. Dans les jardins de Babour, les jeunes se promènent par couples. L’impression qui domine, c’est celle de l’amour de la vie.

10ème observation : L’Afghanistan et la France.

J’ai rencontré les francophones afghans. J’ai rencontré l’ambassadeur actuel et son équipe, sur les problèmes de sécurité.

Le jour de mon arrivée a eu lieu l’inauguration de l’hôpital mère-enfant de la chaîne de l’espoir, qui traduit la volonté des autorités françaises, et celle de l’opinion publique

L’institut français d’Afghanistan  (IFA) réouvrira en Avril, deux ans après l’attentat qui l’a détruit.

La France est toujours bien présente en Afghanistan.

Mais on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine insuffisance. Aujourd’hui les représentants de la France, comme les ONG, sont obligés de se bunkeriser, de circuler à l’abri relatif de ces grands murs qui bordent les avenues. Ces murs sont présents aussi dans le fonctionnement des uns et des autres.

L’Afghanistan est toujours là. Celui dont parle Etienne Gille dans son livre « chao bached » que je vous recommande.

Mais les blessures de plus de trente ans de guerre ont traumatisé ce peuple.

L’incroyable résilience du peuple afghan m’a une fois de plus frappé : cette vie et cet engagement, ce courage et cette énergie, la soif d’apprendre, de connaître, de retrouver son identité, son environnement.

Il y a ça. Mais aussi le sentiment d’une corde trop tendue, à la limite de la rupture, l’épuisement, de la fatigue. Il s’est créé une aliénation à la violence, à la fraude, et une série de rentes de l’économie de guerre se sont développées et enkistées dans la société afghane.
La communauté internationale est loin, trop loin.

Il est important que nous marquions notre solidarité aux afghans. C’est important pour les Afghans, c’est important pour nous, pour notre sécurité.

C’est important au regard de la relation d’amitié que nous entretenons. Nous allons bientôt fêter les 50 ans des « cavaliers «  de Kessel. Un œuvre qui a marqué beaucoup de lecteurs par la singularité du pays, par l’étonnement que l’on ressent à son contact. Même si l’Afghanistan a bien changé, « les cavaliers » ont été un choc, le témoignage que la rencontre avec ce pays est un choc.

Nous devons œuvrer à ce que la relation que les ONG entretiennent avec ce pays soit constante et efficace, au niveau de ce qu’elle devrait être.

Nous devons veiller à la qualité de l’accueil que les Afghans reçoivent en France.

Proximité, qualité, curiosité doivent marquer nos rapports dans les deux sens.

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